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Ce qui se trame

Le point de départ est une photo souvenir.

Chercher qui a posé là, en ce jour de juillet 1970, sur ce balcon. Le point de rencontre entre le modèle et le photographe. C’est aussi le point de départ d’une fiction à imaginer, d’un mystère à percer, d’un silence à crever.

Cette image est devenue une obsession, un motif récurrent dans la vie parallèle de ma psyché ; un nœud, qui ne peut se dénouer qu’à travers la transformation de l’image. Que faire d’une photographie qui se suffit à elle-même, mais qui m’appelle avec autant d’impériosité ?

Il m’a fallu chercher, écumer les possibilités de la répétition, de la redondance, pour tenter de traduire ce malaise de la recherche même. Vanité de la représentation, mais nécessité de redonner une place physique et émotionnelle à cette mémoire dont il manque le récit.

Reproduire par le dessin, la gravure, l’estampage, créer du similaire mais échouant à chaque fois, à côté de la vérité. Puis tisser, tramer, réparer les images infidèles entre elles pour créer la sensation du flou, du mystère, tenter la reconstitution de la scène, et la reconstruction d’un souvenir que je ne peux qu’imaginer.

Remember, re-membrer, recomposer, relier, tisser les bribes de ce réel enfoui et oublié (Je dois cette trouvaille à l’œuvre de Sylvia Plath), mais aussi réparer, recoudre, donner une autre vie à ce fantôme, veiller sur sa mémoire, et peut-être aussi restaurer un dialogue avec ceux qui restent encore.

« Je ne peux pas faire un récit de toi. Je n’ai pas d’autre souvenir de toi que celui d’une scène imaginée l’été de mes dix ans, une scène dans laquelle se confondent la morte et la sauvée.

Je n’ai rien pour te faire exister, en dehors de l’image figée des photos. (…) Tu n’as d’existence qu’au travers de ton empreinte sur la mienne. T’écrire, ce n’est rien d’autre que de faire le tour de ton absence. Décrire l’héritage d’absence.

Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. »

Annie Ernaux, L’autre fille, 2010.

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